Le deal à ne pas rater :
Manga Chainsaw Man : où acheter le Tome 17 édition Collector de ...
19.99 €
Voir le deal

Aller en bas
Jonas Thorburn
Jonas Thorburn
Arrivée sur les îles : 09/01/2021
Aventures : 11
Crédits : Gemmy Woud-Binnendijk

Ô Terre de Sauvages ! [PV] Empty Ô Terre de Sauvages ! [PV]

Sam 16 Jan - 10:24




La Royal Navy, fleuron de la navigation anglaise, fierté de Grande Bretagne, capable de traverser les mers les plus virulentes, ayant surmonté les…

- HEEEEUUUAAAAARR !

Sur le pont du Queen’s Mercy, une brise matinale rafraîchissait les épaules des marins, luisant déjà sous un soleil ardent, dans le port de Kingston. Aux côtés de Nicholas, le second du navire, un homme grand aux bouclettes brunes qui lui mangeaient les tempes et les mâchoires, se tenait un soldat à la peau tannée par le soleil, son uniforme à demi-défait tandis qu’il se grattait le poitrail sous une chemise ouverte. Les deux hommes avaient posé sur l’écossais un regard poliment dubitatif.
Jonas, qui avait revêtu sa plus belle veste de toile, marron et brodée de fils bleus, était penché par-dessus le bastingage et déversait, encore, le contenu de son estomac pourtant presque vide. Une odeur désagréable de bile fut portée jusqu’aux narines de Nicholas et du soldat, mais aucun ne parut gêné outre-mesure.

- C’est lui ? demanda le soldat.
- Ouais. Il m’a dit son nom quand il a embarqué, et il m’a montré une lettre du gouverneur.
- Ah, et il s’appelle comment ? Parce que moi c’est une fille que je devais récupérer.

Le soldat avait dit ça sur un ton légèrement déçu.

- Ben j’me souviens plus, et quand tu lui demandes il dégobille, alors bah… J’l’appelle Princesse, il a le nez recourbé comme une p’tite aristo.

Nicholas rit grassement à sa propre blague, et le soldat grimaça un demi-sourire, sans quitter des yeux Jonas qui glissait à genoux sur le pont en émettant de petits gémissements comme un chiot en souffrance.

- Enfin bref, j’ai pas embarqué de gonzesse moi, j’ai que ça. Alors tu m’l’emmènes, j’ai absolument pas envie de jouer les nounous pour le chemin du retour.
- Ben ouais, mais j’y dis quoi au gouverneur ? « t’nez v’là vot’ nièce » ? Alors que c’est un type défraîchi ?
- Tu t’démerdes. Allez hop, virez-moi le pont de là. Et il a une malle, aussi.

Le soldat souffla par les narines, avant de se décider à attraper le garçon par la manche. Sous la veste de toile, un poignet où ne restait plus que la peau sur les os fut tracté pour que Jonas put se remettre sur ses pieds en titubant. Il avait les yeux vitreux, la peau pâle, une légère barbe avait poussé sur sa peau de poupon et la déshydratation et la dénutrition lui avaient creusé les joues. Il essaya de protester quand le soldat le poussa vers la passerelle, mais il était trop faible. Quand avec un marin, le soldat le souleva comme un vieux sac pour le descendre comme une marchandise quelconque, il vit à peine le quai de Kingston, la grande avenue où fourmillaient marins, commerçants et soldats autour des caisses qu’avait débarqué le navire. Quelques bâtisses étaient dressées à proximité, dont les parois blanches reflétaient les rayons d’un soleil ardent.

On posa Jonas sur une caisse et il avait chaud. A deux pas de là, le soldat discutait avec un type grisonnant, et l’écossais essaya de se redresser. La terre ferme ! Enfin la…
Il essaya de se lever mais à peine fut-il sur ses jambes que le sol couvert d’une terre sableuse se mit à tanguer sous ses pieds et il bascula face contre terre avec une plainte. Nom de Dieu ! Ce n’était pas que le navire, le sol de la Jamaïque tanguait lui aussi affreusement ! Pourquoi avait-il quitté l’Ecosse ?

Alors qu’il était étendu, face contre terre aux pieds du soldat, à geindre, il sentit une poigne lui enserrer le bras pour le relever.

- Debout Princesse, j’ai trouvé ! J’vais t’emmener au dispensaire, là. Ils font le tri un peu, pour savoir si tu vas tenir ou pas !

Le soldat soudain avait retrouvé un peu de sa joie de vivre. Et pour cause : au dispensaire, ils diraient que Princesse était fichu, et hop, il serait libéré ; retour à la caserne pour se tourner un peu les pouces. Il remit Jonas sur ses pieds en passant un bras par-dessus ses épaules et le duo claudiquant se dirigea vers une grande tente au bout du quai.

Les dais du campement de fortune avaient jauni après, certainement, des semaines à être tendus au gré du soleil et des vents marins. En-dessous, des paillasses s’alignaient, entre lesquelles allaient et venaient hommes et femmes, ignorant les gémissements qui provenaient de quelques malheureux. A quelques mètres à peine de ce joli remue-ménage, de grands draps recouvraient des corps invisibles, dont on devinait les silhouettes décharnées. A cette vision, la tête de Jonas lui tourna et il réprima un nouveau haut-le-cœur.

Terre de sauvages. Les corps, ça devait être dans un cimetière !

Le soldat ne parut pas ému par cette vision. Lorsqu’ils parvinrent à l’entrée de la tente, une dame d’un certain âge, aux formes généreuses sous ses vêtements tâchés, les cheveux disparaissant sous un voile blanc, les accueillit avec des éclairs dans les yeux.

- C’est pourquoi ? On est déjà surchargés, ça s’voit pas ? Si c’est le scorbut, vous dégagez, y’a pu d’place ici.
- Ben, c’est un…

Le soldat parut réfléchir à la question.

- C’est la nièce du gouverneur, elle…
- Bien sûr, et moi j’suis la cousine d’Anne Stuart.
- Nan mais attendez, c’est de la famille du gouverneur, mais il est juste un peu mal en point et faudrait savoir s’il va mourir ou pas. Parce que s’il meurt, hop, je rentre. Sinon, il pourra p’tet nous raconter ce qu’il fiche ici et qui il est, vous voyez bien qu’c’est un…

Le soldat fit un signe pour désigner l’accoutrement de Jonas. En dessous de sa veste élégante, dans laquelle il disparaissait, il portait une chemise claire à jabot, un pantalon cintré et des bottes qui avaient dû être cirées, au début du voyage. Sans compter son arme à sa ceinture, un pistolet dont le manche avait été joliment ouvragé, que personne n’avait encore osé lui chiper. Mais le soldat comptait bien récupérer ça si Princesse ne survivait pas.

- Ouais, je vois, consentit enfin l’infirmière. Nom, prénom ?
- Heu… On l’appelle Princesse.

L’infirmière haussa un sourcil, mais parut s’accommoder de cette désignation.

- Bon. Mettez-le là, on va regarder.

Le soldat grimaça un sourire, dévoilant une dent noire et une haleine de chacal, avant de s’acheminer vers la petite paillasse désignée par l’infirmière, sous la tente, où la chaleur était plus intense qu’à l’extérieur. Il y déposa Jonas sans ménagement et celui-ci sentit son fessier s’enfoncer dans la paille. Aussitôt il lui parut que le sol s’était mis à tourner plus intensément et il bascula sur le côté. Il eut un haut-le-cœur et se pencha pour vomir, mais seul un maigre filet de bile s’écoula de ses lèvres, directement au sol. Puis il se recroquevilla en chien de fusil, tremblant malgré la chaleur.

- Aaaaaaah… Ah je vais mourir ! Seigneur, renvoyez-moi sur une terre digne de confiance ! Aaaah !

Le soldat haussa les épaules.

- Bon il est un peu dramatique, comme garçon. J’sais pas si ça s’soigne… Si ça s’soigne pas tant pis, vous l’gardez.
- Ouste.
- Bon, j’attends dehors !
- C'est ça.

Le soldat disparut enfin pour ressortir à l’air libre, loin des relents putrides qui habitaient la tente. Ça sentait la mort à plein nez, et il était aussi bien à attendre dehors que sa mission du jour se termina. Il s’installa sur une caisse pour contempler le Queen’s Mercy dont on roulait soigneusement les voiles. Dans son dos, lui parvenaient à peine la voix de Princesse.

- Aaaaaaaaaaaaaaah…
Evadné Putnam
Evadné Putnam
Arrivée sur les îles : 09/01/2021
Aventures : 9
Crédits : Pulse Spikes

Ô Terre de Sauvages ! [PV] Empty Re: Ô Terre de Sauvages ! [PV]

Sam 16 Jan - 15:53



Un cri d’agonie attira soudainement son oreille. Sous les dais jaunis du dispensaire de fortune qui avait poussé comme une tumeur aux abords du port de Kingston La luminosité jaunâtre qui filtrait à travers la toile épaisse jouaient des reflets brillants dans la chevelure bien rangée d’Evadné Putnam dont les grands yeux azurés, semblables à deux mers calmes, avaient cherché l’origine de ce cri. Elle eût un sourire gêné envers son interlocuteur, un capitaine de la marine marchande dont les hommes souffraient d’une étrange forme de diarrhée de fièvre. Après lui avoir promis qu’elle passerait les ausculter sur l’Agatha King (le nom du navire en question), elle dirigea son pas élégant vers la tente proche d’où lui semblait avoir surgi le cri et plusieurs autres. Elle croisa l’une des sœurs du dispensaire en sortir et lever les yeux au ciel comme si même Dieu ne pouvait plus rien faire pour ce cas. Eva plaqua une main douce contre ses lèvres pour cacher un rire silencieux. Elle savait que ces infirmières, qui ne vivaient que des pauvres dons de l’Eglise, avaient une foi et une patience à toute épreuve mais que les horreurs de cet hôtel-Dieu à ciel ouvert pesaient sur leur âme. La jeune blonde n’était pas particulièrement dérangée par les odeurs rances, les effluves de la maladie ou de la mort. Elle avait déjà connu les nausées induites par la vue du sang et des selles lors de ses premières dissections. Depuis, elle avait appris à se forger l’armure du médecin.

Sa main écarta le pan de tissu grossier qui bricolait une « porte » et aperçut un jeune homme recroquevillé sur une couche de paille, aussi pâle et chétif qu’un nourrisson que la mort s’apprêtait à quérir. Esa robe glissa contre la terre battue et sèche alors qu’elle pressait le pas vers lui. Malgré la chaleur, elle était vêtue d’une robe au corsage strict, dont les manches longues et les nombreux jupons encarcanaient son corps gracile.


Evadné déposa sa petite malle de matériel au sol et s’agenouilla pour se pencher vers le patient. Elle décrivit sa tenue couteuse, devinait l’ouvrage que les nobles ou les haut-bourgeois pouvaient se permettre sur le continent. A côté d’un tel raffinement, sa propre robe semblait grossière et sans éclat, malgré son effort d’avoir mis sa toilette la moins puritaine. Une fois par mois, quand elle se rendait à Kingston pour se ravitailler en médicaments et aider au dispensaire, elle tâchait de s’habiller avec le moins de noir possible.

- Monsieur ? Vous m’entendez ?  demanda-t-elle calmement en déposant une paume fraîche contre le front suant de l’inconnu.

Pas de fièvre, mais une humidité dû à l’effort de vomir et aux températures chaudes de la Jamaïque. Le mal de mer, de plus, provoquait des transpirations excessives. Elle avait appris à en reconnaître les symptômes après six mois à exercer sur cette île où les marins allaient et venaient. La nonne revint en trombe, les mains occupées par un gobelet d’eau.

- Oh vous perdez votre temps avec celui-là, Mademoiselle Putnam. Un soldat anglais me l’a amené, il vient de débarquer. Je prédis juste une grande lâcheté et une fragilité propre à tous ces p'tis nobliots.
- Il vient de débarquer ? répéta-t-elle en retirant ses doigts du visage de Jonas pour aviser l’infirmière boudinée qui se contenta de hausser les épaules.
- Visiblement, oui.
- Bien, alors c’est sans doute de la naupathie, sourit-elle en posant sur le jeune homme un regard désolé.
- De la quoi ?
- Le mal de mer, plus communément. Je vais m’occuper de lui, ça ne sera pas long et vous aurez bientôt une place de libre.
- Merci, Mademoiselle Putnam, Dieu vous bénisse. C’est un vrai réconfort de vous avoir. Les autres médecins nous demandent des sommes astronomiques.
- Ce n’est rien, affirma Eva.

Elle avait décidé de partir plus tôt que prévu ce matin. Elle avait pris le premier navire depuis Port-Royal. Il était plus commode et rapide de passer par les mers et longer les côtes que de traverser les terres parfois encore sauvages. Au fur et à mesure des aller-retours en mer, elle avait développé des réflexes pour s’éviter le mal de mer. Elle avait dû reporter son entraînement au tir à l’arc avec Simon, l’esclave de son père. Elle avait pour habitude, avant de commencer sa journée, de s’engager au cœur des plantations de cannes à sucre où Simon avait dressé un stand de tir sommaire pour l’entraîner à l’abri des regards. Samuel Putnam ne voyait pas d’un bon œil lorsque sa fille fréquentait les esclaves et leur parlait autrement que pour leur adresser des ordres. Alors, l’aube avait toujours été un moment privilégié pour l’exercice avec Simon auquel elle apprenait les rudiments de la langue anglaise en échange.

- Avez-vous son identité ? s’enquit Evadné avant que l’infirmière ne quitte la tente où la chaleur les étouffait.
- Princesse, visiblement.
- Princesse ?! s’étonna-t-elle en écarquillant les yeux.
- J’ai rien de plus.
- Bien merci, bonne journée.

La jeune Putnam donna un drôle de regard vers Jonas, tâchant de comprendre cet étrange surnom. Elle lui remarqua des traits fins, presque poupins par endroit et au milieu de la débâcle de son visage pâle et humide, elle devinait un nez recourbé.

- Bon et bien, Monsieur Princesse, il ne faut pas rester ici, ce n'est pas bon pour ce que vous avez.

Elle se courba et passa un des bras de Jonas autour de ses épaules, agrippa son sac d’une main et grimaça au moment de se redresser. Bien que l’étranger soit amaigri et pesait bien moins de livres que la moyenne des marins, elle eût du mal à le porter et le glisser hors de la tente sous les yeux ahuris du soldat qui trotta vers eux, plein d’espoir.

- Alors, il est cané ? Vous l’amenez à la fosse aux cadavres ?
- Ahm, non, lâcha-t-elle d’une voix contrite, malmenée par le poids du noble. Et elle le traînait vers un quai vide d’où l’on pouvait admirer l’horizon. Bien sûr, le soldat ne proposa pas une seule fois son aide, il se contentait de la suivre, impatient.
- Bah qu’est-ce qu’il a alors…
- C’est un simple mal de mer, il était sur votre navire ? Vous auriez pu lui donner de quoi éviter d’en arriver là. Il est déshydraté !
- Pas sur mon navire non, faut dire ça au Capitaine du Queen’s Mercy hein, marmonna le soldat.
- Et bien je lui en toucherai un mot, s’assura Evadné en serrant les dents parce que Jonas glissait et qu’il fallut le redresser.

La tête du jeune homme pendait mollement contre elle et après un énième geignement, la toute blonde sentit un liquide chaud et poisseux échouer dans son cou, se mêler à la racine de ses cheveux et au col en dentelle de sa robe. L’odeur rance de la bile ne lui arriva qu’après la texture qui luisait désormais sur sa peau, ses cheveux, ses vêtements. Il venait de régurgiter sur elle. Le soldat poussa une grimace de compassion et de dégoût. Sans commenter l’incident, Putnam arriva enfin à un tas de caisse et déposa Jonas avec précaution dessus. Il put reposer son dos sur l’une d’elle. En face d’eux l’horizon s’étendait et une brise fraîche et marine embrassait leur derme. Eva déposa sa mallette à côté de lui et ouvrit rapidement. Elle aurait pu en extirper un carré de soie pour essuyer les traces de bile que Thornburn avait vomi sur elle, mais la priorité était ailleurs. Ses doigts saisirent une petite racine jaune qu’elle présenta aux lèvres du patient. Ce dernier sembla croiser son regard et elle tenta d’y déchiffrer un quelconque état de conscience :

- Vous êtes avec nous Monsieur Princesse ?

Le soldat pouffa de rire.

- Vous pouvez mâcher, c’est de la racine de gingembre, ça vous aidera à calmer les nausées. Essayez de regarder l’horizon. Il faut que vous vous sentiez un peu mieux pour boire et retrouver des forces.

Jonas Thorburn
Jonas Thorburn
Arrivée sur les îles : 09/01/2021
Aventures : 11
Crédits : Gemmy Woud-Binnendijk

Ô Terre de Sauvages ! [PV] Empty Re: Ô Terre de Sauvages ! [PV]

Dim 13 Juin - 9:48




Le monde de Jonas avait tangué désagréablement jusqu’à ce qu’il ouvre les yeux pour se découvrir au bord de l’eau, extrait de l’inconscience par une voix féminine qui l’avait guidé dans les brumes pour émerger sous le soleil ardent. Il avait cligné des yeux plusieurs fois, sourcils froncés, prit des inspirations brèves pour éviter de vomir à nouveau et retrouver quelque fil de pensée cohérent.

- Aaah… J’ai…

Il humecta ses lèvres asséchés par l’air marin et la déshydratation et sa langue percuta la peau rugueuse du gingembre. Il écarta subitement son visage pâle, rentrant le menton, pour poser des yeux méfiants sur la racine.

- Qu’est-ce que c’est que cette… Oh.

Son regard venait de s’élever sur le visage d’une jeune femme aux grands yeux clairs. Une mèche blonde, portée par le vent, balaya un instant un petit nez sage, une bouche à la symétrie élégante sous la clarté angélique d’un soleil ardent.

Jonas resta longuement interdit, les yeux agrandis par la surprise.



















Jusqu’à se rendre compte qu’il oubliait de respirer.

- Huuuuuush, inspira-t-il subitement, avant de refermer la bouche sur la petite racine qu’il mâchonna aussitôt en détournant le regard.

L’horizon parut lui rendre l’horizontalité stable du monde, le temps d’une brève seconde. Puis le goût acidulé du gingembre se déversa, piquant, sous ses dents, sur sa langue, et il ne put empêcher une grimace. Il se hâta de porter une main à ses lèvres pour y recracher la racine.

- Ah ! Mais qu’est-ce que cette horreur ! Essaieriez-vous de m’empoisonner ?!

Avec son exclamation, son accent écossais avait reparu plus fort que d’ordinaire tandis que Jonas regardait de nouveau la jeune femme, évitant cette fois de se laisser surprendre par un faciès et une lumière inattendus. Du bout des doigts, il se débarrassa du morceau de gingembre mâchonné en le jetant sur le quai avec une grimace de dégoût. Derrière l’épaule d’Evadné, le soldat à l’haleine odieuse eut un soupir sonore.

- Ce gaspillage…

Mais Jonas l’ignora, occupé qu’il était désormais à regarder une seconde fois la jeune femme qui était penchée près de lui. Elle avait une robe assez convenable, mais à son âge, que fichait-elle sur un quai, ainsi, avec deux inconnus ? C’était si inconvenant. Et puis…
Jonas fronça le nez et la bouche dans une grimace de répulsion. Il désigna d’un index son propre cou.

- Je voudrais pas vous vexer Mademoiselle mais hum… Il baissa la voix d’un ton en jetant un coup d’œil vers le soldat, comme s’il avait voulu éviter que celui-ci entendît. Vous avez un truc qui dégouline, là.

Il eut de nouveau un coup d’œil vers les traces de bile répandues sur le haut du corsage de la jeune femme avant de secouer la tête en réprimant un frisson de dégoût.

- Non, vraiment je vous assure, ça fait pas convenable.

Jonas détourna le regard pour mieux essayer de se redresser. Il grimaça – ses membres étaient douloureux, il avait dû dormir à bord dans des positions inconfortables les rares moments où il ne vomissait pas – en essayant de ramener ses jambes sous lui mais dès qu’il essaya de faire quitter terre à son séant, la mer en face d’eux se remettait à tanguer et il laissa tomber, préférant rester cloué à la caisse contre laquelle il avait chu. On entendait les cris d’oiseaux marins qui tournoyaient autour des grandes voiles du Queen’s Mary et de l’Agatha King. Les navires grandioses, se dressant avec élégance, laissaient deviner les mille histoires de tempêtes traversées et d’affrontements valeureux dont ils étaient sortis victorieux, et les marins grimpaient sur leurs mâts avec une agilité qui n’avait rien à envier aux acrobates des cirques italiens qui visitaient parfois Londres.

- Bandes de sauvageons ! s’exclama Jonas. Regardez-les grimper sur ces rafiots de malheur ! Ça ne tient pas la mer, ces engins, j’ai cru que j’allais mourir ! Des jours et des jours dans les pires vents avec ces rustres ! Vous savez que je viens d’Ecosse ?
- Ah bah ça, ça s’entend.

Jonas sursauta malgré lui. En tournant la tête, il se retrouva le nez à quelques centimètres du visage du soldat qui l’avait accompagné. Celui-ci s’était penché en s’accoudant contre une caisse pour pouvoir se mêler facilement à la conversation, son faciès bruni par le soleil éclipsant le visage de la jeune femme de l’autre côté, à quelques centimètres également. L’odeur de bile qui émanait du corsage d’Evadné n’avait pas l’air de le déranger puis qu’il ne se gênait pas pour poser les yeux sur le décolleté sage de la jeune femme. Jonas déglutit avant de regarder de nouveau Evadné, s’efforçant de faire abstraction de l’haleine du soldat. Il se pencha pour mieux la voir et occulter un peu la face du soldat incrustée entre eux.

- Que faites-vous là, au fait ? Vous êtes perdue ?

Enfin c’était pas comme s’il serait capable de l’aider de toute façon.

- Je peux envoyer ce brigandeau quérir votre père sur le champ, si vous voulez.
- Ce quoi ? C’est de moi qu’il parle ?
- Ou votre frère, bien sûr. Ou votre grand-père. Enfin, vous m’avez compris.
- Je suis soldat, môssieur le nobliau, du bataillon de défense de Kingston ! Pas un vulgaire brigand des eaux !

Jonas laissa échapper un gros soupir exaspéré en faisant les gros yeux au soldat.

- Vous avez pas autre chose à faire, vous ?
- Ben si ! J’dois ramener une nièce !
- Hé bien faites donc !
- Ben j’attends qu’elle arrête de vomir sur tout le monde.
- Ah, la pauvre.

Le soldat tourna vers Jonas un regard hébété. Ce dernier cligna de ses yeux déroutés, avant que sa bouche ne formât un O dans un éclair de compréhension. Il regarda de nouveau Evadné.

- Aaaah… Mais alors je vais envoyer chercher votre oncle plutôt. Il fallait le dire voyons Mademoiselle.

Le soldat secoua doucement la tête dans un signe de négation fataliste. Lui aussi jeta un œil à Evadné, en pinçant les lèvres pour lui signifier sa compassion.

- Et même pas fichu de reconnaître l’uniforme des soldats de Kingston, j’vous jure…
Evadné Putnam
Evadné Putnam
Arrivée sur les îles : 09/01/2021
Aventures : 9
Crédits : Pulse Spikes

Ô Terre de Sauvages ! [PV] Empty Re: Ô Terre de Sauvages ! [PV]

Lun 14 Juin - 20:26



Un sourire poli s’égara sur les lèvres irisées de la jeune femme. Elle se pencha vers sa malette afin de déplier un carré de soie sombre ainsi qu’une bouteille de verre opaque dans laquelle décantait de l’eau saline et un peu d’alcool pur. Elle imbiba le mouchoir avec précaution afin de le glisser contre la peau nacrée de sa gorge que la bile étrangère avait souillé. Elle frotta la dentelle de son col. Le sel corrosif et l’alcool réussirent presque à blanchir son vêtement. Il ne demeura plus qu’une ombre légère, humide.

--J’espère vous paraître plus convenable, Monsieur Princesse, souffla-t-elle doucement en rangeant son matériel. A vrai dire, la convenance souhaiterait que je me présente à vous. Je suis..
-AHEUM AHEUM, toussa fortement le soldat pour interrompre la phrase de la blonde et attirer son attention. Elle fronça le minois vers lui tandis qu’il se mettait à faire des gestes malhabiles pour mimer son souhait de lui parler loin des oreilles de l’écossais. Elle adressa une oeillade d’excuse à son patient et se redressa pour s’éloigner de quelques pas vers le bord du quai. Le militaire à l’haleine sinistre baissa la voix, au cas où.
-Vous pourriez pas me rendre un service, Mad’moiselle ?
-Vous êtes souffrant ?
-Non ! Mais ce type-là, moi j’dois l’amener chez le gouverneur et…bon c’t’une longue histoire mais j’suis censé lui ramener sa nièce au gouverneur, pas ce type tout branlant-là.
-Le gouverneur Willis ? S’étonna Evadné en portant son regard azuré vers la silhouette de Jonas, le détaillant avec curiosité.
-Ouais, lui-même. Il va m’étriper…parce qu’il attendait sa nièce. Est-ce que bon, vous pourriez pas nous accompagner, genre sur un malentendu il va penser que c’est vous la nièce puis hop, je laisse le pauvre type là s’expliquer ensuite et moi j’me tire.
-Mais…débuta-t-elle incertaine. Elle se concentrait également pour ne pas respirer la mauvaise haleine du soldat.
-Non mais vous voyez bien qu’il va pas bien, on aura besoin de vous pendant le trajet et tout.

Un froissement de jupon plus tard, Mademoiselle Putnam revenait aux côtés du jeune écossais. Dans son dos, la carrure disgracieuse du soldat semblait moins secouée par la nervosité. Elle referma sa malle dans un geste serein et du bout des doigts ramasser le morceau de gingembre remâché qu’elle présenta à Jonas.

-C’est du Zingiber officinale, une racine qui vient des Indes et qui est extrêmement coûteuse à se procurer, mais très efficace contre le mal de mer dont vous avez souffert durant votre trajet à bord du Queen’s Mary. Le capitaine a été fort peu aimable de ne pas avoir permis que votre séjour se fasse dans les meilleurs conditions, surtout si vous devez rencontrer le gouverneur Willis.

Le geste assuré, de celui qu’avait les médecins envers leurs malades, elle saisit le poignet de Jonas, l’invita à ouvrir la paume et y déposer les restes de gingembre.

-Cela pourra vous être encore utile, sourit-elle avec bienveillance.
-Ouais ça vous évitera, par exemple, de dégobiller sur la première jolie demoiselle venue vous secourir eh !
-Monsieur ? S’adressa-t-elle un peu sévèrement vers le milicien.
-Kaplan, Mad’moiselle. Lieutenant Kaplan. C’est que j’ai des galons, et cet écossais est même pas capable de s’en rendre compte.
-Monsieur Kaplan, merci pour votre assistance, mais Monsieur Princesse a besoin de calme. Si vous pouviez éviter de parler trop fort.
-Ah oui, oui…
-Je ne suis pas perdue, revint-elle à l’attention de Thorburn. Je me nomme Evadné Putnam, j’habite Port-Royal depuis quelques mois. Je regrette de ne pas avoir l’accent écossais, cela vous aurait semblé familier, sur cet île si éloignée, si étrangère. Je compatis à votre désorientation, mais il faut songer à votre santé désormais.
-Z’êtes trop bonne Mad’moiselle Putnam, assurément, ce rustre d’écossais mérite pas votre bonté, confessa Kaplan en secouant la tête misérablement.
-Monsieur Kaplan, réagit-elle, Auriez-vous l’obligeance de nous trouver un moyen de transport ? D’après mes vagues connaissances, la demeure du gouverneur est à une distance importante et Monsieur Princesse n’est pas en état de marcher.

Kaplan n’aurait refusé pour rien au monde, car la présence de la demoiselle lui sauvait assurément la mise. Et sitôt qu’il fila, elle parut libérée d’un poids et respira mieux l’air frais et vivifiant des côtes jamaïcaines. Les rumeurs du port flottaient jusqu’à leurs oreilles. Il lui avait semblé que ce moment de paix aurait été propice à ce que le noble écossais avoue son identité, les raisons légitimes de sa présence - si loin de ses racines d’Ecosse. Mais quand elle posa de nouveau ses yeux sur lui, il était de nouveau courbé en deux pour vomir. Elle grimaça une moue d’empathie.

-La morceau de Zingiber officinale, lui conseilla-t-elle avec toute la douceur dont elle était capable afin qu’il puisse comprendre et le mâcher à nouveau. Et la bouche pleine, que ce fut de bile ou de gingembre, il était difficile de parler. Evadné s’était redressée et lui avait tourné le dos pour admirer l’horizon marin, les bras croisés sous sa poitrine. Les jupons de sa robe battaient régulièrement au vent, comme les voiles d’un navire et ses mèches lumineuses tourbillonnaient au creux de cette brise marine. Le soleil clément caressait sa nuque gracile et blanche, mise en évidence par sa coiffure stricte.













Le cocher avait fait halte devant la demeure impressionnante du gouverneur Willis. Située au centre de Kingston, jalousement gardées par des soldats anglais, elle présentait un style architectural austère et raffiné, loin des bâtisses coloniales qui émergeaient à l’intérieur des terres. On avait fait venir la pierre des carrières du vieux continent afin de sculpter la façade, d’ériger des murs solides, de laisser là, l’empreinte anglaise dans toute sa splendeur.

-Monsieur Princesse ? Appela Evadné en s’ébrouant sans brusquerie. Parce qu’au court du trajet, balloté par les cahots de la route, les pavés de la ville portuaire, il s’était de nouveau senti mal et avait fini par somnoler, sa tête échouant sur l’épaule sage de la jeune médecin.

La porte du transport s’ouvrit brutalement sur le visage rougi par le soleil d’un lieutenant Kaplan qui avait fait le trajet à l’avant, aux côtés du cocher.

-Il dort encore ?! Mais c’est pas vrai ! EH l’écossais, debout ! J’ai déjà prévenu le gratin.

Il se tut soudainement. A quelques mètres de là, sur les marches de l’imposante maison, deux silhouettes rigides venaient de faire leur apparition. A travers la vitre de la porte ouverte, Evadné distingua vaguement la silhouette notoire du gouverneur Willis. Un gentilhomme, plus jeune, l’accompagnait, impeccablement dressé dans son uniforme d’officier de la Marine. Kaplan maugréa et aida Jonas à descendre, à se mettre sur pieds. Sous ces derniers, la terre ferme l’accueillit et il put respirer, profiter de l’immobilisme, des effets de la racine de gingembre. Kaplan arrangea un tout petit peu la tenue de Thorburn, épousseta ci et là, tapota sur ses épaules. Il envoya une oeillade d’encouragement à Evadné avant de s’écarter pour leur ouvrir le chemin. Ils passèrent une porte cochère, traversèrent une cour ensoleillée. Bientôt ils furent face aux silhouettes les accueillant. Les yeux sombres de Willis se dardèrent sur le duo, mais son hôte - lui, avait immédiatement été attiré par la blondeur des cheveux d’Evadné et par la figure angélique qu’ils encadraient. Avant même qu’un mot ne fut échangé, il descendit les quelques marches pour se retrouver à sa hauteur et attrapa galamment sa main afin d’y déposer un baise-main selon  la bienséance qu’exigeait son rang.

-Lady Thorburn. On m’avait promis le soleil et vous m’apportez toutes les étoiles de l’univers. .

Evadné cligna des yeux et ses joues rougirent d’incompréhension et de gêne. Elle détourna sa figure, mais Kaplan avait déjà détalé comme un rat et il ne restait plus que l’air hébété de Jonas et le regard sévère de Willis.

-Lady Thorburn, j’espère que vous avez fait bon voyage, dit-il d’une voix tranchante, inspectant avec déception la tenue peu luxueuse que cette nièce portait.. Et j’espère que ma chère soeur se porte bien.  J'ai hâte d'entendre les nouvelles que vous m'apportez d'elle et avec, celles de Londres et de l'Ecosse.
-Je…

Elle tentait de chercher ses mots mais l’aura autoritaire du gouverneur l’intimidait et elle ne sut que dire.

- Qui est donc ce jeune homme qui vous accompagne ? S’enquit le neveu de Willis dont on ignorait encore le nom, mais qui possédait une tignasse bien rangée et aussi blonde que celle de la demoiselle à qui il s’adressait. Il ne porte pas l’uniforme de nos soldats. Serait-ce l’un de vos valets ? Où sont vos bagages, il devrait aller les quérir.

L'étonnement figeait Evadné dans une posture d'incertitude. Elle n'aurait jamais pensé que les choses puissent s'enchaîner si vite, que le gouverneur soit déjà là, à attendre une jeune femme comme on attendait une marchandise de première nécessité. Et elle était mal à l'aise devant l'attention galante que lui portait cet officier qui n'avait même pas pris la peine de se présenter. Mais s'il patientait après Lady Thorburn, alors elle devait préalablement avoir été mise au courant. Ce qui était ridicule, puisqu'Evadné n'était pas cette Lady Thorburn.

Contenu sponsorisé

Ô Terre de Sauvages ! [PV] Empty Re: Ô Terre de Sauvages ! [PV]

Revenir en haut
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum