Le voleur réputé paie la poule qu'il n'a pas chapardé ~ Ft Neftali

Tu n'étais guère d'humeur ce matin Neftalí. En apparence, ton habituel sourire illuminait ce petit visage angélique qui dissimulait la corruption et la malice de ton être et pourtant... Cela faisait près de trois jours que tu ne récoltais que de piètre informations et d'insignifiantes rumeurs. Cela t'ennuyait grandement mais c'était sans compter sur ce benêt de Timothy qui en rajoutait une couche en te taxant d'être un fainéant et un bon-à-rien. Tu n'aimais pas l'avoir sur le dos  comme ça. Il te réveillait aux aurores, te disputait dès qu'il avait l'occasion de te trouver en train de vaquer à tes petites occupations. Tu avais manigancé certains des plus grands coups des Kidd's mais cela ne valait rien à ses yeux ingrats. Tout ce qu'il voyait, c'était l'absence de ta contribution au butin de la bande depuis quelques jours. Il voulait te renvoyer à la rapine comme à tes débuts... et puis quoi encore ? Pensait-il vraiment que tu allais retourner au port vêtu de haillons avec l'air misérable pour voler quelques misérable pièces ? Absurde ! Tu avais été ça mais c'était fini ! Tu n'étais plus un simple gosse de la rue. Tu t'étais fait un réseau, tu avais noué des liens et avais fait de ton mieux pour te hisser vers des plus hautes sphères. Tes petits pieds avaient foulé à peu près tous les lieux les plus sordides et tes doigts s'étaient retrouvés enlacés dans le creux des mains des âmes les plus malhonnêtes que cette île avait pu façonner. De quel droit te faisait-il passer pour un vulgaire coquin devant les autres ?

C'est après avoir reçu une nouvelle douche glaciale au milieu de tes draps. Avec le climat humide de l'île, tu allais être bon pour dormir par terre pendant des jours avant que ton lit ne soit enfin sec. Deux secondes, voilà tout le temps qu'il avait falllu à cet imbécile pour répandre le contenu du sceau d'eau sur le plus important de tes sanctuaires. Toi, il allait te falloir au moins quatre ou cinq jours où tu aurais la plus grande des attentions à porter au moindre oreiller pour assurer un séchage décent en évitant que la moisissure ne se faufile entre tes draps.

Tim avait arboré le plus radieux des sourires lorsque tu avais alors annoncé que tu allais t'acquitter de tes obligations. Pauvre sot, s'il savait ce qui l'attendait... Tes pas se dirigeaient à présent vers le Lupanar où les mères du chef des Kidd's faisaient leur office.  Oh, tu n'étais pas un habitué de l'endroit Neftalí. Tu avais eu quelques aventures avec des demoiselles mais tu avais suffisamment de charme pour trouver quelques bras prêts à t'accueillir le temps d'une nuit sans que tu n'aies à verser le moindre sou. Tu savais toutefois que le Lupanar jouissait d'un certain confort et possédait nombre de bibelots qui seraient fort bien accueilli chez un receleur. Tu imaginais déjà la tête de Tim lorsque tu allais rentrer avec ta prise. Rirait bien qui rira le dernier... et tu en riais déjà.

Telle une ombre, tu te faufilas dans l'établissement en train d'ouvrir. L'endroit baignait dans une certaine torpeur, ce qui n'était pas pour te déplaire. Tu laissais entrer les badauds en quête d'une chaleur de bon matin pour compenser la nuit froide qu'il avaient du passer. Ils feraient une diversion convenable pour les quelques filles présentes malgré l'heure matinale. On te prêta bien peu d'attention. Si bien que tu laissas par hasard traîner tes doigts et faucha une bourse le plus innocement du monde. Au vu du poids de celle-ci, ça ne représentait pas vraiment une victoire mais après tout, tant qu'à ramener des sous, tout était bon à prendre !

Très rapidement, les affaires débutèrent et les employées de l'endroit n'avait plus le luxe de pouvoir te garder à l'œil sous la pression des badauds. Tu commenças alors tes petites manœuvres. Tu te promenais le long des étagères et des tables, faisant disparaître ici et là quelques objets dans ton sillage. Tu t'arrêtas finalement devant une sorte de coupe argentée. Si tu avais progressé avec un certain flegme jusqu'ici, cet objet alluma une lueur brillante dans tes yeux. Obnubilé par cette prise juteuse, tu ne remarquas pas la silhouette froide qui s'était glissée derrière toi. Les doigts posé sur la coupe, tu manquas de l'envoyer voler dans un sursaut lorsque tu entendis la voix de la femme derrière toi.

Tu te retournais en grimaçant. Se faire attraper dans un bordel... Vraiment ? Peut-être que cela faisait un peu trop longtemps que tu ne volais plus à la tire. Tu avais perdu la main visiblement. Il allait falloir que tu sois prudent si tu ne voulais pas finir au trou avant midi. Reposant à contrecœur la belle coupe, tu bredouillas :

-Oh pardonnez-moi Madame. Je n'avais nulle intention de voler cette coupe. Je... Je suis à la recherche du capitaine du Futah, mon maître souhaite le rencontrer au plus vite pour une affaire pressante. L'on m'a dit qu'il se trouvait ici. Est-ce vrai ? Je... Je suis navré, je sais que j'aurais du me renseigner auprès de ces... dames. Mais voyez-vous... Je... hum, ne suis pas familier de tels endroits. Sans vouloir vous offenser bien entendu.

Tu avais sorti cette tirade telle une pirouette désespérée. Tu espérais qu'aucun membre de cette bicoque ne se trouve ici ou tu allais te retrouver sérieusement dans le pétrin. Tu espérais qu'on te renvoie rapidement dehors ni vu ni connu. Au vu de la réaction en face, ça n'allait peut-être pas être aussi simple...

Le cœur battant, tu tentais de sauver les apparences devant cette femme à l'air impassible. Au fond de toi, tu n'en revenais toujours pas de t'être fait prendre dans un bordel... Toi qui t'infiltrais à loisir dans le moindre recoin de cette île sans qu'on ne puisse te mettre la main dessus, voilà que cette femme t'avait attrapé avec un timing parfait. Les mots de Tim t'incitant à faire preuve de respect pour le Lupanar et cette fameuse Estel qui en avait la charge te revinrent en tête... Tu avais donc rencontré le dragon gardant tous ces trésors. Un dragon ne soufflant heureusement pas le feu mais qui d'un hurlement pourrait pousser les badauds de l'endroit à te sauter dessus pour t'envoyer au cachot à grand renforts de coups de pieds dans le derrière. Il allait donc falloir jouer astucieusement.

Tu grimaças en sentant la poigne griffue de sa ta tortionnaire se refermer un peu sur lui lorsqu'elle te demanda de lui montrer le contenu de tes poches. C'était si humiliant... Tu se sentais comme une souris avec laquelle un chat s'amusait avant de la dévorer. Enfin, tu ne pouvais te démonter aussi facilement. Tu avais déjà vécu de pareilles situations par le passé et si ça n'avait jamais été très agréable, tu n'avais jamais été dans les geôles des matons et tu ne comptais pas commencer. Une chance pour toi, la quasi totalité de ton butin se trouvait dans la doublure interne de ton manteau. Il n'y avait dans ton pantalon que la bourse que tu avais fraichement volée. Son ex-propriétaire ne semblait pas regarder mais dans le doute, tu esquissas un léger pas de côté afin de t'assurer qu'il soit bien dans ton dos et incapable de voir avant d'écarter légèrement ton manteau. Tu n'aimais pas faire ça. Tu sentais le tissu s'écarter et révéler ta fine silhouette. Tu te sentais nu sans cette seconde peau. Tu ne l'écartas pourtant pas plus que nécessaire, veillant à garder cachée le plus possible la face intérieure du vêtement. Tu laissas quelques secondes au regard de ton interlocutrice afin qu'elle puisse détailler ta tenue et tout ce qui pouvait ressembler à une poche. Avec un air faussement timide, tu bredouillas :

-Voyez Madame, je n'ai que ma bourse avec moi. Je vous assure que je ne suis venu avec aucune intentions malhonnête ici.

Tel un gentil garçon de la bonne société docile (un bel abruti comme tu avais l'habitude de les décrire, tu tapotas ton torse là où un flottement pourrait traduire la présence d'une poche avant d'enfouir tes petits doigts dans les poches de ton pantalon et d'en sortir la bourse. Mimant toujours ton innocence, tu la présentas devant elle en tendant légèrement les bras en jouant des coudes pour garder ton manteau. Il te fallait décomposer un peu le geste mais rien d'infaisable en définitive... Tu ramenas ensuite la bourse contre toi, la serrant dans tes mains comme un petit trésor.

-Je n'ai rien d'autre à vous cacher Madame. Je vous en prie, faîtes moi confiance, je n'ai rien d'autre à... Oh !

Ton petit numéro était presque parfait. Hélas, il fallut qu'un client éméché passe dans ton dos à ce moment là. Tu étais si concentré sur la femme qui te mettait à l'épreuve que tu en avais oublié la présence des autres clients. Lorsque tu entendit ses forts éclats de vois derrière toi ainsi que le courant d'air qu'il brassait dans ton cou, tu sursautas brièvement. Rien de trop grave en théorie... Du moins si dans ta surprise, tu n'avais pas laissé ton manteau s'écarter un peu trop et que deux bibelots que tu avais eu l'insouciance de ranger au même endroit n'avaient pas eu l'idée de tinter l'un contre l'autre et si ta bourse accrochée à l'intérieur de ton manteau n'était pas apparue dans le champ de vision de la dame l'espace d'une fraction de seconde. Tentant de conserver ton calme après ce fiasco, tu tentas de te racler la gorge avant de demander :

-A.. Alors Madame ? Il est là le... capitaine du Futah ?

Il fallait qu'elle te laisse partir, par pitié...