La famille, c'est celle qu'on choisit (ft. Beth)

Assis sur une des tables du Hollandais Volant sans te préoccuper des particules d’alcool et de bouffe qui venaient se coller à tes vêtements, tu étais plongé en pleine réflexion, tes ongles grattouillant pensivement les nœuds dans le bois de la table qui te servait de chaise. Tu attendais le retour de Bethany qui venait de fermer la taverne. Tu étais perdu depuis quelques jours et comme souvent dans ces cas-là, c’était celle que tu considérais comme ta tante que tu venais voir, cette dernière ayant souvent les réponses… Ou à défaut de réponses, tu te changeais correctement les idées à ses côtés et c’était déjà ça. Lors d’un de tes passages au lupanar, tu avais eu l’occasion de parler avec ta mère (celle qui t’avait mis au monde) et la nouvelle qu’elle t’avait révélé était pour le moins… Troublante. En plus de t’avoir collé une belle rage de tous les diables. Ton père, cette raclure de fond de navire, était de retour à Nassau. Oh pas pour voir son fils non non : il ne savait même pas qu’il avait un fils. Non, il était là pour se faire du fric. Ce gars était le tartenpion qui avait tenté de te piquer la statuette recherchée par Afya quelques jours en arrière. Oui oui, le petit nouveau à Nassau qui avait pensé pouvoir tranquillement roulé un gamin des Kidd’s Thirteen. Bah voyons. Lorsque ta mère t’avait révélée la vérité, tu avais deux fois plus regretté de ne pas lui avoir collé une balle dans la tête lorsque tu en avais l’occasion. Tu n’avais jamais aimé ton géniteur, le haïssant même à travers le portrait que ta mère t’avait dépeint de lui. A croire que c’était une caractéristique commune à certains membres du groupe… Enfin, la question n’était pas là.

Bien sûr, tu avais immédiatement demandé à ta mère de ne rien lui révéler et cette dernière avait simplement roulé des yeux avec l’air de te prendre pour un imbécile : pour elle ça coulait de source qu’elle n’allait rien lui dire. Il n’avait pas besoin de savoir et si en plus tu ne le désirais pas, alors elle n’avait strictement aucune raison de lui dire ce qui avait découlé de leur rencontre dix-huit ans plus tôt. Et maintenant tu ne savais pas quoi faire. Tu aurais aimé reprendre ta vie comme avant. Vraiment. A n’en pas douter, ça aurait été le plus simple. Mais la pensée de sa présence sur l’île hantait ton esprit sans te lâcher ni te laisser quelques minutes de répit. Tu avais bien décidé de simplement attendre qu’il se tire de nouveau en espérant qu’il ne revienne jamais cette fois, mais ça n’allait définitivement pas assez vite à ton goût. Alors quoi, cette espèce de cloche avait décidé de prendre racine ?! Il en était hors de question. Nassau était ton terrain de jeu et il était hors de question de le voir l’envahir et le pourrir. Non mais pour qui il se prenait celui-là ? Nassau appartenait à ses enfants, aux pirates, aux mal-aimés des royaumes pas aux gars comme lui. Car oui, tu avais réussi à récupérer quelques infos sur lui au port et ce que tu avais appris ne t’avait que dégoûter un peu plus. Bah, avec un peu de chance, les pirates du coin lui régleraient son compte assez rapidement. Mais il n’en restait pas moins qu’en attendant, tu étais obligé de vivre avec l’idée de sa présence. Un bruit te fit relever la tête et tu adressais un signe de tête à la femme qui venait de rentrer, celle que tu attendais « -Salut tatie. Je te dérange pas trop ? ». Oui tatie. Ca datait de ton enfance et dans l’intimité tu continuais à l’appeler comme ça. Et peu importe que ça l’embête ou qu’elle n’en ai rien à faire, toi tu aimais bien… Alors t’avais gardé.

Tu hochais la tête lorsqu'elle déclara que tu ne la dérangeais pas. Bien, c'était la réponse que tu espérais de toute façon. Cela t'étonnait cependant que ta tante n'ait pas assez de clients, tu avais l'impression que le Hollandais Volant était toujours plein. Enfin, le fait que tu squattes assez régulièrement l'endroit, que ça soit seul ou avec le reste des Kidd's Thirteen devait sûrement peser dans la balance. Tu retenais tant bien que mal tes doigts d'aller piquer le chapeau de Beth. Tu te souvenais encore vaguement de toi enfant, portant un chapeau un peu semblable à celui de ta tante et trois fois trop grand pour toi. Sans doute que tu avais voulu l'imiter... A vrai dire c'était moins un souvenir précis que des sensations, celle du poids du chapeau sur ta tête et le fait qu'il te cachait la moitié de ta vision, le bruit des pas de Beth juste devant toi tandis que tu lui courrais après, le bruit des conversations des blagues graveleuses et des rires bourrés... Tu avais grandi ici. Certains auraient pu dire que ce n'était pas le lieu le plus propice à l'épanouissement pour un enfant. Mais pour rien au monde tu n'aurais changé tes racines.



Tu attrapais un bout de pain qui trainait sur la table et le lui lançait en réponse à sa question. C'était pas la suggestion que t'aurais pu faire une connerie qui t'avait vexé (nan ça tout le monde savait que t'en faisait tout le temps de toute façon) mais bien le fait qu'elle ait proposé que ta présence en ces lieux était à l'origine de ta tête de de déterré. Un, tu ne buvais pas tant que ça et tu tenais bien l'alcool en plus. Et deux, tu étais toujours heureux de venir squatter, pas de quoi tirer une tête de six pieds de long quoi. "-Bière. Et pour te répondre, pour une fois j'ai pas fait de conneries. Fin pas vraiment.". Lorsqu'elle posa la chope de bière face à toi, tu en pris une grande lampée avant de la reposer à côté de toi et te décidais à enfin raconter ce qui c'était passé "-J'ai rencontré mon père. On était à la poursuite de la même statuette, je voulais la ramener à Afya comme surprise. C'est un putain de corsaire Beth. Un foutu corsaire de merde et un tartempion d'empaffé de résidu de fond de choppe !" Et comme pour appuyer tes mots ou te calmer, même toi tu ne savais pas vraiment, tu attrapais ta choppe pour en descendre encore quelques gorgées. Voilà plusieurs jours que tu ruminais ta haine et ton aigreur contre ce corniaud. Tu aurais tellement aimé qu'il remonte sur son fichu bateau et qu'il aille se crever au fond du kraken voilà qui t'arrangerais pas mal ! Mais non cet imbécile restait sur terre. "-Il a essayé de me rouler en plus, tu te rends compte ?! Moi ! Un Kidd's Thirteen ! Moi qui vis à Nassau depuis toujours il a cru qu'il pouvait débarquer et s'approprier mon terrain de jeux ! Bon je te rassure, je me suis pas laissé faire, il est reparti avec nada de ce qu'il était venu chercher et c'est moi qui ai récupéré la statuette. J'aurais dû le buter quand j'en avais l'occasion.". Oh oui, ça par contre tu regrettais de l'avoir laissé filer... Même si à ce moment-là tu ignorais qui il était vis-à-vis de toi. Mais il n'était rien ! Rien ! Simplement un mec de passage qui avait permis à ta mère de te concevoir et dont tu tenais les cheveux blonds et la pâleur mais rien de plus !

Tu hoches la tête lorsqu'elle t'interroge à propos de cet empaffé. Tu l'avais surveillé ces derniers jours, prêt à lui saboter son départ dès qu'il rejoindrait son bateau, genre en lâchant une jolie petite colonie de rats dans la cale des provisions en priant pour qu'ils ne s'en aperçoivent pas de suite et qu'ils crèvent la faim en plein océan. Mais non, ce connard semblait décider à rester dans le coin et à ne pas déserter Nassau, ce qui était assez étrange finalement, en général les corsaires restaient assez peu à Nassau. "-Ouais il est encore sur l'île et j'sais où est son rafiot. J'avais prévu de faire bouffer leurs ressources par une colonie de rats en priant pour qu'ils s'en aperçoivent pas avant que ça soit trop tard.". Ta main vient fourrager sans douceur dans tes cheveux crades. Il était rare que ces derniers soient propres à vrai dire, C'était le cas seulement quand tu passais voir tes mères et qu'elles exigeaient que tu sois propre.

Tu avales encore quelques gorgées de bière tandis que tes pensées reviennent traîner autour de ta mère. La première, celle qui prétendait le plus légitimement à ce statut, celle dont tu étais sorti. Celle que tu aimais un peu plus que les autres. Physiquement, vous aviez assez peu de points communs. Mentalement aussi. Mais tu savais qu'elle n'aimait personne au monde autant qu'elle ne t'aimait toi et qu'elle aurait fait n'importe quoi pour toi. Il en était de même pour elle de ton côté. Tu aurais été capable de brûler le monde entier pour elle et cet amour entre vous deux avait été, paradoxalement, encore fortifié par le fait que tu n'avais pas grandi à ses côtés. Jamais très loin d'elle mais pas non plus collée dans ses jupons. Et tu avais peur qu'elle te regarde différemment si elle apprenait que tu avais tué ton père volontairement. Pas parce que c'était ton père, elle savait à quel point tu le haïssais et pour sa part elle se fichait de son existence (même si elle t'avait répété à de nombreuses reprises qu'il y avait au moins une chose de bien chez lui : il lui avait permis de t'avoir comme fils). Mais parce que tu avais tué quelqu'un. Volontairement. Ce ne serait pas un accident mais un meurtre, pensé à l'avance, réfléchi.

Tu te fichais de ce que la plupart des gens pensaient de toi, tu te fichais qu'ils t'admirent ou te méprisent, t'apprécient ou te haïssent. Ta mère n'était pas la plupart des gens. Son regard était important, ce qu'elle pensait de toi aussi. Tu ne voulais pas la décevoir ou la dégoûter. "-Honnêtement, je lui aurais seulement déjà collé une balle dans la tête si... J'ai peur de comment maman va me regarder quand elle apprendra ce que j'ai fait. Elle sait que je le hais, elle le sait très bien et elle s'en fiche. Mais il y a un fossé entre haïr quelqu'un et le tuer. Moi je m'en fiche. C'est peut-être pas son cas. On en a jamais parlé." Tu relevais le nez de ta choppe après en avoir pris une lampée et tu fixais ta tante. "-Tu sais ce qu'elle en pense toi ?" Après tout elle connaissait ta mère depuis des années... Et sans doute qu'elle savait des choses à son propos, à propos de sa vie, que tu ignorais. Peut-être qu'elle, elle avait de quoi dissiper tes derniers doutes et te pousser à passer à l'action... Ou, au contraire, te rétracter et ne pas briser la vision que Layana avait de son fils. Toi.