For dragons covet gold... with a dark and fierce desire. ~ Bethany

Seule contre le monde. Voilà comment l'anglaise s'est toujours vue. Sa seule alliée, cela avait été cette mère, cette matriarche de substitution, le jouet de son enfoiré de paternel. Une femme qui avait été là pour elle, jusqu'à la fin, jusqu'à sa mort, sous les yeux de la rouquine. Certains soirs, elle se rappelle l'odeur du sang, de la panique dans les yeux de cette femme, de cette douleur. Jamais elle ne voulait voir son regard happé par un tel sentiment, par une tempête de violence. Jamais elle ne voulait ressentir cette perte. Ouvertement, c'était la seule femme en qui elle avait eu confiance, la seule femme qui avait eu réellement confiance en la rouquine… Beth' avait bien vu comment avait fini sa mère adoptive. L'anglaise n'était que chaos. Elle l'avait bien compris, alors elle créerait le chaos à sa façon en s'imposant, en montrant ce que pouvait faire une femme dans un monde régi par les hommes. Elle s'interdisait l'ordre, elle se refusait à une vie rangée, une vie de femme et de mère. Elle ne se complaisait, depuis son enfance, que dans cette tempête orageuse qu'a toujours été sa vie.

Seule, elle avait réussi. Elle avait obtenu les commerces les plus florissants : alcool et chair. Dormir n'était que superflu dans une ville où la nuit était rythmée par le désordre. C'était avec fierté qu'elle avait renommé son enseigne : Hollandais Volant, elle qui riait et crachait sur la moindre superstition. Bethany était un loup solitaire, Bethany était le seul rouage dont elle avait besoin. Jusqu'à l'arrivée d'Estel. Jusqu'à ce qu'elle n'ait enfin l'idée de faire confiance en quelqu'un d'autre qu'elle-même et un fantôme du passé, qui aurait dû être oublié depuis tant d'années. En cette personne qui était désormais l'associée de Bethany, qui gérait la partie lupanar de son commerce. Associée, un mot si simple, si court mais qui n'avait pas été facile pour Bethany. Associée, cela voulait dire qu'elle lui faisait confiance au point de lui offrir la gérance de son gagne-pain, de son argent… Sachant qu'elle pouvait subir le même sort que l'ancien propriétaire. Un cercle infini et vicieux où, si l'on ne peut prendre ce que l'on souhaitait de manière pacifique, le sang était versé. Une vision bien morne, qu'était celle de Bethany, qui ne pouvait concevoir le moindre bonheur, même en voyant la jeune sœur de son associée : Afya. Si l'on pouvait comparer Bethany au Diable - ou à Lilith -, Afya était son exact opposé.

Ce soir était une de ces soirées où la taverne fermait à heure fixe, pour une fois. Où Bethany montait avec une bouteille de rhum dans son bureau pour pouvoir avoir un œil sur les chiffres amassés ce mois-ci. Malgré ce partenariat, Bethany aimait voir les comptes, elle aimait se rassurer et savoir que tout fonctionnait correctement, qu'aucun grain de sable ne s'était introduit dans une routine bien rôdée. Débouchonnant le rhum, Bethany servait les verres et observait le carnet que posait la maquerelle à ses côtés. S'asseyant à son tour, la rousse savait, était consciente… Qu'un jour, elle n'aurait plus sa place ici. Que ce serait Estel à sa place, qu'elle avait la poigne que la rousse avait. Qu'un jour, elle se lasserait "d'obéir" et d'être "dirigée" - car Bethany laissait toute sa liberté à Estel, espérant simplement un retour - et ferait en sorte d'écarter la rouquine. "Aye !" Une gorgée réchauffait sa gorge, pourtant habituée à être attaquée par cet alcool fort, un petit temps de repos, court, avant de se mettre aux choses sérieuses. Ce que la métisse ne tardait pas à faire, ouvrant un monde de chiffres et de lettres à l'anglaise.

Le monde que gérait Estel, s'ouvrait sous les yeux de la rouquine, qui ne retenait que les chiffres de l'auberge et surtout, de la taverne. Son oreille était attentive aux mots de la jeune femme et Bethany comprenait bien l'urgence de remplacer une employée. Une fille de moins, c'était une chambre de moins utilisée. Cela était un coût car la pièce n'était pas rentabilisée par le travail, mais elle devait être entretenue. "Elle a quoi ? Elle rapportait combien ?" Le langage moins soutenu que celui de sa comparse, en les voyant, en les écoutant, on comprenait qu'elles ne venaient pas du même endroit mais qu'elles avait fini au même. Pas de joli mot qui ne sortait de la bouche de la rousse, qui préférait aller à l'essentiel, quitte à mâcher ses phrases. "On va rapid'ment en trouver une. - la prostitution était le plus vieux métier du monde mais, en plus, il était difficile de manquer d'employés - T'as déjà des filles à proposer ?" Bethany doutait que sa partenaire soit venue en lui annonçant qu'elles perdaient une fille, sans avoir d'alternative sous le coude.

La rousse buvait à nouveau, avant de s'amuser à faire tourner le verre entre ses mains, à observer les vagues de rhum qu'à regarder les chiffres. Les fixer ne les changeraient pas et, bien qu'ils n'étaient pas mauvais, ils ne pouvaient faire apparaître de l'argent de nulle part. "Sinon… - son regard se relevait alors qu'elle laissait son dos aller contre le dossier - Si y'a personne de potable pour le moment, on aura qu'à mettre la chambre en location et on la f'ra payer plus cher." La taverne et l'auberge n'étaient pas des taudis. Mais il ne fallait pas espérer une qualité parfaite, c'était normal pour des hommes et femmes vivants ici, où, de toute façon, le sol allait être imbibé de substances diverses et variées. Le lupanar, lui, était un cran au-dessus car Estel était très exigeante à ce niveau-là.