C'est pas au vieux singe qu'on apprend à voler bas quand la caravane passe ! [avec Eleanore Blackwood]

Cette journée était plutôt agréable. L'hiver arrivait à son terme et déjà la chaleur humide de la belle saison revenait. Voilà qui plaisait grandement au jeune Neftlí qui frissonnait déjà de plaisir en songeant aux longues siestes d'été sous le soleil qui viendrait d'ici quelques mois lorsque l'île aurait retrouvé pleinement les températures des beaux jours. Cela l'avait même motivé ce matin à descendre faire un tour au marché afin de se dégourdir les jambes. Il avait envie de profiter de l'air extérieur et de l'ambiance légère qui flottait à cette période de l'année. En effet, si le printemps pouvait paraître tout à fait frivole, il fallait garder à l'esprit qu'outre le froid incommodant, l'hiver était une saison où la mer devenait particulièrement impitoyable. La fin de cette période mettait donc tous le monde dans une certaine euphorie : marchands, badauds et même les plus ronchons des marins.

Le petit brun évoluait au milieu de la foule, un joli sourire planant sur ses lèvres. Ah, que de monde, que de bonne humeur, que d'insouciance ! Ses doigts virevoltaient ça et là, glanant les bourses des bienheureux profitant un peu trop pleinement du soleil de mars. Tout cela était presque trop simple. Les pièces s'accumulaient dans les poches intérieures du manteau du petit escroc et tels de minuscules soleils d'or, il sentait leur contact lui réchauffer le cœur. À ce train-là, il allait récolter plus de sous en une matinée que durant la dernière semaine de vol à la tire ! Peut-être en profiterait-il pour s'offrir un petit plaisir ? Un couteau ? Des outils de crochetage ? Non ! Il savait ce qu'il lui fallait absolument ! Il y songeait depuis un temps déjà mais il lui fallait absolument de nouvelles bottines !

Ses iris s'illuminant à cette pensée, il dévia légèrement son itinéraire pour se mettre en quête d'une vieille connaissance. Un vieux briscard recelant un peu de tout chez qui il avait trouvé ce merveilleux manteau il y a deux ans. Depuis que ce long vêtement était entré dans sa vie, il l'avait bouleversée jusqu'à devenir une seconde peau pour le garçon. Il pourrait peut-être retrouver cette impression pour des bottes. Ses petits pieds le méritaient après tout.

Parlant de son manteau, un petit frisson d'alarme parcourut le dos du jeune voleur en sentant l'épais tissu s'écarter un peu trop de son corps. Un léger courant d'air s'aventura jusqu'à ses flancs, chose qui ne se produisait pour ainsi dire jamais... À moins que quelqu'un ne soit en train de le tirer. Les sens en alerte, le garçon laissa un de ses bras descendre innocemment vers sa ceinture afin de retrouver le toucher réconfortant de son vieux couteau et chercha à identifier cet inconnu un peu trop près de lui. Trop tard hélas, il sentait déjà son manteau revenir en place. Seule une sensation demeurant le troubla. Un parfum, une légère brise de fraicheur bien trop douce et bien trop éloignée de l'odeur humide et pourrissante de cette île. C'était un bien drôle de sentiment mais le petit regard par dessus son épaule lui confirma cela lorsqu'il aperçu la petite silhouette blonde qui filait déjà vers une sortie du marché. En apparence, il s'agissait d'une gamine tout à fait banale mais une fraction de seconde avait suffit à Nef pour confirmer cette impression qu'elle était bien trop propre pour venir du coin. Une enfant de la haute venant s'amuser sans doute ? Il allait vite en avoir le cœur net. Il tourna les talons et entreprit de la suivre. En chemin, il prit le temps de faire un tour de ses poches qui lui confirma qu'une bourse fraichement volée venait de disparaître. Ce n'était pas la plus petite en plus mais il était difficile pour le garçon de s'en vexer. Après tout, ce n'est pas comme si elle lui appartenait et que valait une bourse contre le plaisir de se trouver une camarade de jeu. Il allait passer une merveilleuse journée.

L'espace d'un instant, il craignit de perdre la jeune fille des yeux en la voyant s'engager dans une petite ruelle mais en arrivant devant celle-ci, il fut consterné de voir la gamine dissimulée derrière un tas de bois, absorbée dans le décompte de son butin. Une belle erreur de débutant. Il fallait être fou pour sortir le fruit d'une rapine avant d'être caché en sécurité... Et il ne pouvait décemment pas dire que l'endroit était des plus sécurisé. Cela dissipa un peu plus ses doutes. Elle était de la haute.

Un sourire malicieux sur son petit visage angélique. Il s'approcha à pas de loup avant de murmurer à quelques pas de la petite filoute :

-Salut l'aminche ! Beau jour pour la rapine, hein ?

Le sursaut qu'elle fit valait déjà bien plus que le contenu de la bourse. Hilare, le brun réussit difficilement à articuler entre deux éclats de rire :

-Haha ! Te fais pas de bile ! J'viens pas m'rebiffer au truc pour ferraille ! C'est pas la mienne !

Il s'adossa au mur, lui adressant un charmant sourire. Oh il jouait avec le feu. L'enfant pouvait bien sortir un couteau et tenter de le tuer ici, il aurait bien du mal à se défendre. C'était pourtant plus fort que lui. Le regard de la fillette avait un truc qui lui plaisait. Même si elle se savait prise en flagrant délit, il ne sentait pas vraiment de résignation dans ses yeux. Bon, s'il avait été un peu plus grand et large, peut-être cela aurait-il été différent mais cela l'amusait tout de même.

Il fallait bien se l’avouer. Nassau, ce n’était vraiment pas Port-Royal, c’était deux mondes différents et la jeune fille, malgré son statut, ou plutôt, ancien statut, ne semblait pas se déplaire ici. Loin de là même. Elle sentait en elle la légèreté de la liberté. Depuis que la menace des fiançailles et la pression pour devenir une bonne future épouse ne pesaient plus sur ses épaules, elle se sentait immensément heureuse, même si la vie était plus dure. Elle allait devoir se battre pour vivre, mais elle en avait l’habitude, elle l’avait toujours fait. Mais il y avait juste quelques différences.

La jeune fille virevoltait au milieu des passants, esquissant un pas à droite, un petit saut vers la gauche, un quart de tour pour éviter de percuter les passants, sans chercher à voler. Pour le moment, ce n’était qu’une petite balade de repérage. Elle était ici que depuis quelques jours, donc elle se devait de beaucoup observer. A Port-Royal, elle connaissait absolument toutes les rues et les ruelles ainsi que chaque recoin de la ville donc, il était facile de prendre la fuite pour se cacher. De plus, il fallait se l’avouer, la plupart de ses victimes ne cherchaient pas à lui courir après. Les détrousser de quelques sous ne changeait pas vraiment leur vie et courir après une gamine ? Ce n’était décidément pas à leurs niveaux, ils étaient bien trop hauts pour ça. Il arrivait quelque fois qu’elle vole des marins ou des badauds et par chance, elle arrivait la plupart du temps à toujours s’en sortir par sa petite taille et sa rapidité. Elle pouvait se cacher et se faufiler. Pas eux.

Mais aujourd’huiiii, elle avait une autre cible en tête. Un jeune garçon qu’elle suivait et observait de loin depuis un petit moment. Il semblait vraiment doué pour détrousser les passants. Franchement, il était impressionnant. Une idée lui vint en tête, elle avait vraiment envie de s’amuser. Et de plus, l’alléger de quelques pièces n’allait pas lui faire grande différence, n’est-ce pas ?

Eleanor fit un petit sourire et accéléra quelque peu le pas pour arriver à sa hauteur. Et une fois suffisamment proche, ses furtives mains se mirent en marche pour se glisser sous le manteau du garçon afin de dérober une part du fruit de ses vols. Une fois le garçon allégé, Eleanor cacha son butin sous son pull et fit demi-tour pour s’éloigner. Après quelques pas, elle accéléra et se mit à courir pour prendre la fuite.

Après quelques instants à courir, elle se tourna et vit que personne ne semblait l’avoir suivi. N’avait-il rien remarqué ? Peut-être. En tout cas, elle ne se sentait pas en danger actuellement et elle s’adossa à un tas de bois afin de faire l’inventaire de son butin. Alors qu’elle était pleinement concentrée à compter son butin, une voix se fit entendre un peu trop près d’elle et le sursaut qu’elle fit confirma le fait qu’elle ne s’y attendait pas du tout. Par réflexe, elle se releva vivement pour faire volte-face, laissant les pièces rouler au sol afin de se mettre en position de défense, portant une main près du couteau prête à le dégainer si la situation l’exigeait. Néanmoins, le rire de l’inconnu lui fit baisser sa garde. Il ne semblait pas méchant ni spécialement dangereux en cet instant.

Elle se détendit alors qu’il continuait à parler. Après sa phrase, Eleanor fit une petite moue boudeuse. Comment avait-il fait pour la retrouver ? Pourtant, elle pensait ne pas avoir été suivi. Elle avait encore des progrès à faire pour connaître parfaitement cet endroit et ses habitants, elle s'était montrée un peu trop naïve sur ce coup. Ici, c’était vraiment différent de là où elle habitait auparavant. Elle ne garda pas sa moue boudeuse très longtemps, elle fit un sourire éclatant à ce garçon. Il semblait plutôt gentil, puisqu’il ne cherchait pas à récupérer ce qu’elle lui avait volé, de gré ou de force.

« Je pensais pourtant être seule. T’es plutôt discret comme gars toi. »

Eleanor se pencha pour ramasser les pièces qui s’étaient échappées au sol lors de sa mise en position défensive. D’un rapide mouvement, elle les fit glisser à nouveau dans la bourse qu’elle tendit au garçon. Après tout, il avait gagné, il l’avait retrouvé, son butin lui revenait à nouveau.

« J’ai perdu. C’est à toi. Moi, c’est Eleanore, mais nomme moi Nanor ! Ou plutôt comme tu veux sauf par mon prénom complet, je te prie. »

En vérité, Eleanore avait quelques difficultés à accepter son prénom, d’autant plus à Nassau, à présent. Il sonnait trop de la haute pour elle. Elle voulait se détacher de cette image qu’on pouvait avoir d’elle, même si sa façon de parler pouvait très certainement la trahir aussi.

Tandis qu'elle se baissait pour réunir les quelques pièces éparpillées, Neftalí prit un instant pour étudier un peu la singulière jeune fille. Visiblement à peine plus jeune que lui mais toute aussi menue, des cheveux blonds à peine salis, une tenue plutôt sobre et très peu tape-à-l'œil bien qu'en s'attardant dessus, on peut deviner les vêtements de plutôt bonnes factures. Il n'y avait plus de doute dans l'esprit du jeune garçon à ce moment : il ne pouvait s'agir que d'une fillette de la haute... Ou alors, il s'agissait d'une voleuse des rues pourtant un soin similaire au sien sur sa tenue et son apparence... Mais il se dépêcha d'écarter la seconde option. Son orgueil ne souffrirait pas d'imaginer que ce personnage si atypique qu'il s'était construit sur l'île ne soit plus unique...

Il fut toutefois surpris lorsqu'elle se redressa en souriant et qu'elle lui tendit la bourse de pièces. Elle semblait plutôt bien prendre le fait d'avoir été retrouvée et lui tendait l'argent en guise de récompense. Que pouvait-elle bien avoir dans la tête ? Etait-ce à ce point un jeu à ses yeux ? Cherchait-elle à se faire pardonner sans faire plus d'histoire ? Ou était-elle véritablement inconsciente ? Le brun se demanda un instant s'il devait se prendre au jeu ou se vexer d'être traité ainsi. Ce n'était pas la première fille de riche qu'il croisait en train de voler. Cela dit, en général, les gosses de bonnes familles avaient tendance à se décomposer lorsqu'ils étaient pris la main dans le sac. Alors pourquoi était-ce différent avec cette fille ? Que pouvait-elle avoir dans la tête ?

Un instant, le voleur se demanda s'il devait prendre ces pièces. Au regard du petit jeu auquel elle se prêtait, il devait bien reconnaître qu'elle possédait un bien meilleur niveau que certaines canailles venant pourtant de ce bourbier. Peut-être avait-elle mérité de garder ces pièces vu son habileté ? En tout cas, si le brun résonnait avec des critères aussi désuets que le mérite ou l'honneur il aurait sans doute fini par refuser. Heureusement, il n'était pas de ceux qui cherchaient à se glorifier de vertus illusoires, aussi il s'empara rapidement de la bourse... Une fois son argent en sécurité, il soupira avant de mettre fin au jeu :

-Eleanor... Tu sais l'aminche, j'veux pas me mettre dans tes bails mais à ta place, je décarrerais d'ici pour rentrer chez moi. T'as un truc pour la rapine mais les troufions d'ici, c'est pas le genre de tes vieux qui vont te souffler une gueulante. T'es né avec une cuillère en or dans le four plutôt que les mains dans les poches d'un péquenaud, ça se voit, y a que sur ça que tu peux me faire confiance... T'as été en veine avec moi mais le prochain sera pas de la même trempe...

Il ponctua sa phrase d'un léger sourire désolé. En temps normal, il se serait un peu plus amusé avec. Il l'aurait peut-être même emmené dans chez une de ses connaissances pour la garder au chaud et demander une rançon à ses parents mais il ne pouvait s'y résoudre. Au fond, il n'allait pas le dire mais il avait été impressionné par l'aplomb de cette gamine. Sans aller jusqu'à sympathiser avec, il aimait bien son été d'esprit. Il avait du respect pour ceux qui avaient le courage de se faufiler dans les rues moribondes avec le sourire au lèvres et le jeu dans l'âme. Cette fille pouvait bien faire ce qu'elle voulait mais en définitive, il serait chagriné de la trouver poignardée dans une ruelle... Voilà pourquoi il avait été honnête avec elle, l'espace d'un instant.

Alors que la rencontre s'apprêtait à s'achever par sa faute, il songea toutefois à une scène assez similaire qu'il avait vécu il y a fort longtemps. Lorsque lui même arpentait le port à la recherche de quelque chose à voler alors qu'un toit bien étanche et un lit chaud l'attendaient. On lui avait tendu la main à l'époque. Bien sur, il n'allait pas encourager une richotte à quitter ses draps de soie pour venir vivre la vie d'escroc mais sentant que son interlocutrice n'allait pas suivre son conseil, il ajouta non sans un autre soupir :

-Tu sais, c'est pour toi que je dis ça... Il y a une vraie différence entre ceux pour qui c'est un jeu et ceux qui en vivent. Ce sont deux mondes... et c'est pas les genres de mondes qui gagnent à se croiser. Si tu tiens tant à jouer les gosses des rues, il faut que t'apprennes à penser comme ceux qui en viennent.

Il savait que c'était une mauvaise idée, une TRES mauvaise. Il savait d'avance que Tim allait le lui reprocher pendant des jours. C'était le genre de caprice qu'il n'acceptait pas, surtout pas en provenance d'un gosse comme Nef qui avait déjà tendance à se permettre des caprices de tant d'autres sortes. Peut-être était-ce d'ailleurs ça qui acheva de le convaincre.

-Je peux te montrer quelques trucs si tu veux. Mais après ça, tu devras te débrouiller pour te montrer plus maligne que celuis que tu arnaques. Vendu ?

L'offre pouvait sembler faîte avec légèreté. Pourtant, il n'en était rien. La disparition de l'argot du parler du garçon en témoignait. C'était avec son charmant sourire, sa main délicate tendu et avec un air des plus avenants qu'il montrait à la jeune fille le chemin sombre du crime. Il espérait ne pas le regretter...

Eleanor le savait, elle était encore loin de se fondre dans la masse, dans ce décor si différent de Port-Royal, elle devrait craindre pour son intégrité. Et pourtant, c'est un sourire aux lèvres et d'un pas dansant confiant qu'elle se promène dans les rues tout simplement parce que le souffle de la liberté lui allège le coeur. Elle n'était pas faite pour toutes ces niaiseries dans lesquelles on a essayé de l'y plonger. Gare à celui qui tenterait un jour de lui glisser une bague au doigt, elle ne sera pas une épouse parfaite, loin de là. Il risque plutôt de regretter cet investissement à court et long terme.

Elle savait... Et pourtant, elle ne sut encaisser pleinement les propos de son interlocuteur. Parler sans savoir, c'était si facile. Mais ce n'était pas uniquement un jeu, du moins... Parfois, quand l'envie lui prend de titiller, certes, elle s'amuse, mais, elle sait aussi pleinement prendre en compte l'acte nécessaire qui lui permet sa survie. Et en plus, il lui faisait l’affront de l’appeler par son prénom complet alors qu’elle lui avait explicitement prié de ne pas le faire.

Le regard pourtant doux de la jeune fille commença à se durcir détonnant complètement avec son attitude précédente et son visage naturellement tendre. Elle ancra son regard de pierre dans celui du garçon en face de lui. Sans crier gare, elle empoigna le haut du garçon et lui balaya les jambes, se servant de son poids pour le faire basculer. La jeune fille l'accompagna dans sa chute, prenant garde à ce que la tête bouclée ne cogne pas au sol. Profitant de l'attaque surprise, elle se jucha sur son ventre, bloquant de ses jambes ses bras. Elle capta à nouveau le regard du garçon et d'un ample geste qu'elle semblait connaître par coeur, elle sortit son couteau qu'elle approcha dangereusement du cou du jeune garçon dans une menace silencieuse.

La jeune fille ne prit pas la parole de suite, elle inspira profondément. Il semblait gentil mais elle savait à quel point il était nécessaire de démontrer qu’elle n’était pas qu’une proie dans ce monde. Elle pouvait aussi se montrer prédatrice. C’est d’une voix calme et posée qu’elle prit la parole, bien qu’un être attentif pût aussi déceler une petite note peinée au timbre de sa voix.

« C’est bien ici que se trouve le problème ou du moins, une partie. Tu n’es pas à ma place. Mes vieux ne sont plus rien, ils n’ont jamais été quoi que ce soit, tfaçon, ils sont trop loin. Plutôt crever que de retourner là-bas courber l’échine. »

Eleanor rangea à nouveau son arme, elle se sentait désolée pour lui de l’avoir ainsi attaqué par surprise mais elle savait que c’était une chose primordiale, elle ne devait pas se laisser marcher dessus, sinon, c’était la porte ouverte à tout et n’importe quoi. Doucement elle se relève et tend la main vers le garçon avec un sourire désolée mais sincère, souhaitant vraiment lui tendre la main et peut-être démarrer une amitié avec lui ?

« Cette fois, je ne vais pas te prier mais affirmer. Oublie Eleanor, ce prénom ne me va pas, tout le monde ne peut pas l’utiliser. Et si tu t’y risques, je te coupe les bouclettes, pigé ?!»

Après sa petite menace, la jeune fille l’écouta avec un léger sourire, il semblait très carré dans son mode de pensée vu ce qu’il venait de dire, il fallait pourtant apporter quelques souplesses pour que ce soit moins pesant selon la jeune fille.

« Je ne suis pas d’accord. Il est vrai que la survie doit primer sur l’amusement. Mais, ne me dis pas que tout ce que tu fais est au nom de ta survie. Je me suis amusée en te volant, ce n’est pas pour autant que je n’ai pas dû le faire pour survivre. »

Elle n’était pas sûre qu’il ait compris la nuance qu’elle ait voulu apporter, mais ce n’était pas grave. Eleanor savait à quel point il était difficile de faire comprendre certaines notions ou pensées à des êtres humains pour ne pas dire impossible dans certains cas. En tout cas, Eleanor se montra surprise par sa proposition, elle avait encore des progrès à faire et c’était une bonne chose d’avoir de l’aide dans cet environnement inconnu.

« Vendu ! »

Sans aucune hésitation, elle attrapa doucement la main de Nef pour la serrer, scellant le petit marché, son visage éclairé par un grand sourire joyeux. Sera-t-elle à sa place ici ? Certainement, en tout cas, elle allait tout faire pour en commençant par… Tirer vers elle Neftali pour l’encercler de ses bras dans une douce étreinte amicale.

« Excuse-moi, je t’ai quelque peu bousculé mais c’était… Nécessaire. »

Neftalí n'aimait pas briser ainsi les rêves de la jeunesse. D'autant plus lorsqu'il faisait face à une jeune fille aussi douée. Certes, il l'avait rattrapée sans grande difficulté mais il devait bien reconnaître que sans son manteau, il aurait bien pu perdre son argent sans s'en rendre compte... enfin presque. Il était peiné d'agir ainsi mais il savait faire le meilleur choix... Chose suffisamment rare pour qu'il en ait conscience lorsque cela se produisait.

Il ne s'attendait cependant pas à se faire attraper ainsi. Un léger hoquet de surprise lui échappa lorsqu'elle enfonça ses mais sous l'armure de son manteau pour saisir sa chemise. Son attention fixée sur son haut saisi ne remarqua pas le coup qui vint arracher ses pieds du sol. Avant d'avoir pu réaliser quoique ce soit, le garçon n'était plus qu'une poupée entre les mains de la fillette. Le monde tournait bien vite pour ses pauvres yeux qui cherchaient désespérément quelque chose à quoi se raccrocher, ne serait-ce qu'une seconde. Il se retrouva finalement étalé au sol sur le dos, le souffle court. Son adversaire entreprit alors de se percher sur lui. D'instinct, les doigts du jeune voleur se replièrent dans sa manche pour chercher la petite lame de rasoir dissimulée à hauteur du poignet. L'instrument servant d'ordinaire à sectioer les fils des bourses n'avait pas vraiment la longueur conventionnelle pour servir d'arme mais so tranchant parfait était juste ce qu'il fallait pour une riposte surprise.

Une fois de plus malheureusement, la gamine fut plus rapide. En s'asseyant sur Neftalí, elle resserra ses jambes sur lui afin de bloquer ses bras le long de son corps. Elle sortit alors son couteau. Le visage du bouclé palit alors en réalisant sa situation. Il se tortillait sous elle mais il ne pouvait rien faire qui ne soit plus rapide qu'un couteau. Il était complètement coincé, tel un chaton dans les mâchoires d'un molosse. C'était une sensation qu'il ne supportait que difficilement face aux plus grandes pointures du marché noir, alors ici c'était tout simplement atroce. Il ne put que se soumettre docilement lorsque son couteau arriva au niveau de sa gorge offerte.

Il ne broncha pas lorsqu'elle acheva de le remettre à sa place. Il ne pouvait pas vraiment se le permettre de toute manière... Il acquiesca avec le regard bas, voilé par la honte.

Après cela, elle sembla retrouver toute sa joie initiale, se permettant de lui sourire à nouveau et de lui proposer son aide pour se relever. Hélas, aucune main ne serait assez habile pour ramasser les éclats de l'égo du jeune escroc qui s'étaient éparpillés au sol. Il repoussa sa main et se releva, marmonnant un bref :

-désenfle toi le cigare, c'est pas un exploit de me battre...

Boudeur ? Sans doute. Après tout, le jeune homme était encore bien jeune et son amour-propre n'allait pas se faire ainsi malmené sans protestation. D'une certaine façon, il ne mentait d'ailleurs pas. Il n'avait jamais été un bagarreur, préférant laisser Tim jouer des poings. Toutefois, cela lui fit bien comprendre que la jeune... Nanor était bien plus apte à la survie qu'il ne lui paraissait. Il lui fit tout de même remarquer que si la rapine était un jeu pour elle, certains en vivaient et qu'elle devait bien avoir conscience de cela.

Malgré sa mauvaise humeur due à sa fierté bafouée, la réponse de celle-ci le fit sourire malgré lui.

-Bonne réponse l'aminche ! fit-il en réprimant un rire. C'est pas parce que c'est ton gagne-pain que ça peut pas être un jeu !

Même Tim n'aurait pas donné meilleur réponse. C'était si rare pour le garçon de trouver des gens qui partageait sa philosophie. C'était décidé, si cette future voleuse ne voulait pas démordre de son idée alors il veillerait à lui mettre assez de plomb dans la caboche pour qu'elle ne la perde pas au détour d'une ruelle. Il tendit sa main à son tour cette fois, lui proposant un marché.

Il sourit légèrement lorqu'elle accepta avant de pousser un nouveau petit hoquet de surprise lorsqu'elle avaça ses bras sur lui à nouveau sans crier gare. Il fut toutefois plus rapide à réagir, ses sens étant sur la défensive. Ses jambes solidement campée au sol ne seraient pas aisée à faucher... Pourtant malgré sa vigilance, le brun fut une fois de plus pris au dépourvu. Il était à nouveau captif des bras de la fillette mais rien d'autre ne venait. Elle n'était pas violente ou sèche. Elle se contentait de le serrer contre elle avec affection. C'était une sensation curieuse... Amusant de voir comment un garçon au manière si mielleuse et en apparence tactile pouvait être si perturbé par un câlin. La vérité étant qu'à Nassau, la tendresse se limitait en général au enfant avec leur mère si ceux-ci avaient la chance d'en avoir une affectueuse. Que ce soit avec les Kidd's ou avec son grand-père, l'affection se transmettait à grand coup de poings joueurs... Il y avait bien Afya mais elle était comme une soeur elle... et le genre de soeur qui pouvait vous maudire en cas de grosse colère. À dire vrai, Netalí n'était plus spécialement habitué à des gestes purement tendres envers lui.

Il resta ainsi figé quelques secondes avant de finalement relever ses bras pour étreindre maladroitement la jeune fille. C'était curieux mais agréable en fin de compte. Lorsque le contact entre les deux fut rompu, il s'empressa de réajuster son manteau afin de reprendre contenance et de ne pas laisser apparaitre la teinte légèrement rosie sur ses pommettes. Il ne répondit pas aux excuses d'Eleanor, préférant ignorer cet épisode dans l'espoir qu'il disparaisse au plus vite de sa mémoire. Au lieu de cela, il se tourna vers elle et déclara d'un ton solennel :

-Aller, on décarre de là. Va falloir qu'on te dégote des sapes comme les rafiats du cru si tu veux plus attirer l'œil. T'as encore le coup pour rapiner ?

Un plan s'était déjà dessiné dans la tête du petit escroc pour la suite de la journée. Il savait exactement où aller pour trouver des tenues adaptées pour dissimuler la jeune femme dans ce milieu vicié. Le problème avec elle n'était en réalité pas tellement sa tenue mais le on-ne-sait-quoi de propre et d'immaculé qui se dégageait d'elle. Il ne parvenait pas à l'expliquer mais il possédait un sixième sens détectant cela et cet instinct était partagé par bien des gens sur cette île. Il allait donc falloir faire jouer un de ses contacts privilégié. Cependant, il valait mieux avoir de quoi le payer ou sinon.... Neftalí frémissait rien que d'y penser. Avançant nonchalemment vers la rue, il demanda :

-Tu te sens en veine Nano... Non, ça va pas le faire.... Lénore, ça te botte ?

Aller voler à deux allait au moins être un peu plus amusant que seul. Et ce serait une bonne occasion de pouvoir voir ce que valait la jeune fille en vol à la tire.

C'est pas au vieux singe qu'on apprend à voler bas quand la caravane passe ! [avec Eleanore Blackwood]

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